Manifeste pour la reconsidération et la valorisation de l'entrepreneuriat créatif
Initiation au modelage par Atelier Milo / Crédit photo Les Mains
L'artisanat a toujours existé, depuis la nuit des temps les savoir-faire particuliers servent à chasser, manger, se battre et se protéger. En 2025, des millénaires après le premier silex, il est toujours question de survie.
Aujourd'hui, dans l'ère post-pandémie, la création de nouveaux métiers qui ne rentrent dans aucune case et pour la plupart sans certification - parce qu'ils naissent d'un apprentissage autodidacte ou par transmission familiale - a explosé. Le covid et les confinements ont provoqué une remise en question profonde des priorités de chacun-e en matière de travail et de vie personnelle, jusqu’à redéfinir les besoins et les aspirations professionnelles. Au-delà des aspects économiques, on a repensé collectivement le travail et ses finalités, créant un nouveau rapport au métier, à la qualité de vie, et à l’avenir du travail lui-même.
En parallèle, les loisirs créatifs sont revenus dans les quotidiens comme source d'évasion et d’inspiration, qui pour beaucoup se sont transformés en vocations et même en projets professionnels. On change de vie parce qu'on saisit l'opportunité du renouveau, parce qu'on veut être plus proche de nos valeurs humaines, ou parce qu'on a besoin de donner du sens. En fait, la création, l'artisanat, c'est une solution, peut-être idéalisée, pour survivre au monde du travail, le transformer pour se l'approprier et le dompter. Mais c'est une illusion de croire que l'artisanat n'est pas un système comme un autre. Il a ses avantages, ses inconvénients, ses contraintes, ses exigences, ses défauts.
©Dinette Market
Le constat est que l’artisanat d’hier n’est plus le même qu’aujourd’hui. Les savoir-faire perdurent mais sa place grandit, les enjeux aussi. Après la pandémie mondiale et l'explosion du taux de reconversion professionnelle dans les domaines créatifs, il est une vocation, une nouvelle chance ou même un échappatoire pour les reconverti-es, et plus que jamais une composante incontournable de la culture, de l'économie locale et du développement durable.
Pourtant, il est toujours relégué au second plan face à l'industrie, la production de masse et la technologie. L’artisanat créatif est encore perçu comme une activité mineure, obsolète ou simplement ludique.
« L’artisanat n’est pas une forme arriérée de l’industrie mais une activité nécessaire à l’équilibre de la nation. »
Pour reconsidérer et valoriser les métiers créatifs il est nécessaire de déconstruire les idées reçues sur l’artisanat, socle d’un système délétère.
"Le '“fait-main” c’est l’activité du dimanche après-midi."
Il est toujours difficile de définir précisément l'artisanat. Longtemps mis en opposition avec la modernité et le commerce, aujourd'hui son usage "fourre-tout" nous joue des tours. Pour caricaturer on pourrait dire qu'il se situe entre le bricolage et l'industrie mais la réalité est plus complexe. C'est bien sur un statut juridique officiel, encadré par la loi avec un label de qualification professionnelle : "l’artisan effectue un travail manuel destiné à fabriquer, à transformer, à réparer des produits ou à réaliser des prestations de services."*. Mais dans l’usage courant on y inclut tous les métiers manuels, la création artistique, mais aussi d’autres statuts comme les artistes-auteur et le Label d’Artisanat d’Art. En fait dans les croyances collectives les limites sont minces avec celles du hobby, et parallèlement avec celle de l'art. C'est d'ailleurs ces confusions, associées à des acquis parfois sur le tas, qui expliquent selon moi le manque de reconnaissance de nos métiers créatifs.
D’une part, l'artisanat créatif est perçu comme un passe-temps ou une activité de loisir plutôt qu'un véritable métier…donc absolument pas pris au sérieux comme tout autre ambition professionnelle. D’autre part, parce que la frontière est mince avec l’art, il peut subir parfois une image d'inaccessible, d’onéreux, d’inabordable, voire d’inutile. En parallèle, l’artisanat créatif est souvent réduit à sa dimension utilitaire ou décorative, comme s’il manquait de profondeur ou de signification, et que seules les œuvres dans les musées devaient être reconnues comme uniques formes d'art dignes de reconnaissance. N’est-ce pas totalement contradictoire ? Pourtant, l'artisanat créatif est tout autant une forme d'expression artistique qui demande une maîtrise technique complexe et une vision artistique singulière, souvent plus enracinée dans les cultures locales et dans nos quotidiens que les oeuvres dans les musées.
©Bertille Derail
"Artisanat et business ne sont pas compatibles."
Parce qu’il fait appel à des savoir-faire qui témoignent d'une relation intime entre l'être et la matière, entre l'idée et l'objet, l’artisanat est régi par des valeurs éthiques souvent mises en opposition, à tort, avec le commerce. Surtout avec l’idée de faire du profit, des marges commerciales, ou de vivre une croissance exponentielle.
Juridiquement l’artisanat et le commerce sont deux activités distinctes, pourtant bien cumulables, et dans nos domaines créatifs même complémentaires. Logiquement, on ne peut pas vivre de nos créations si on ne daigne pas les vendre, et les métiers artistiques ne sont en aucun cas exempts de réussite financière et de richesse. L’artisanat n’est pas un choix de vie sacrificiel. Bien au contraire, c’est bien par ses qualités intrinsèques d’authenticité, de valeurs humaines et de savoir-faire qu’il s’inscrit dans un modèle économique rentable et durable. Je suis même convaincue qu’il est une réponse profonde aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux d’aujourd’hui. Celà implique qu’aujourd’hui en 2024 business et artisanat vont de paire, et qu’en tant qu’artisan-e c’est de notre responsabilité d’utiliser les bons outils de développement qui répondent aux exigences du marché. Donc de maîtriser des aspects fondamentaux de la gestion d’entreprise comme la stratégie commerciale, la gestion financière, le marketing, la distribution, le pricing, etc.
Croire que l’artisanat créatif est de l’ordre du passe-temps, qu’il n’a pas de légitimité, qu’il est en dehors de tout succès financier c’est porter en soi des convictions limitantes, banalisées et délétères, qui favorisent un manque de posture entrepreneuriale antinomique avec les ambitions de réussite professionnelle.
« Personne ne peut vous faire sentir inférieur sans votre consentement »
Steve jobs disait "Ne vous laissez pas piéger par le dogme qui consiste à vivre avec les résultats de la pensée des autres". Mais croire que cette dévalorisation de nos métiers créatifs ne résulte que des opinions des autres est une erreur. Si aujourd'hui on veut changer les choses, déconstruire les idées reçues sur les métiers créatifs, être considéré-e dans nos carrières professionnelles, autrement dit si on veut être pris-e au sérieux, il faut déjà se prendre au sérieux soi-même.
Se prendre au sérieux signifie accepter et épouser la posture entrepreneuriale. Comprendre qu'elle n'est pas en opposition avec une activité créative mais qu’elle en est le pilier, la condition sine qua none. Se prendre au sérieux c'est dédiaboliser le marketing, améliorer sa relation à l’argent, combattre ses propres préjugés, s'ouvrir à des nouvelles compétences et être ancré-e dans le présent. Se prendre au sérieux c'est trouver ses limites pour les dépasser, aller droit vers ses peurs, les affronter plutôt que de les laisser devenir guides de nos actions.
©Cécile Charroy Designer x Oh My Goz
“Et puisse le sort vous être favorable” : l’entrepreneuriat est un mode de vie intense, qui révèle le meilleur et le pire de nous. Mais on n’est pas dans les Hunger Games. Alors quand on se jette dans le grand bain on ne doit pas laisser le hasard décider à notre place. Il faut aller au bout des choses, vivre l’expérience entière, apprendre, grandir, progresser. Arrêtons ce sabotage latent qui consiste à diaboliser le commerce et le marketing, arrêtons de rejeter le système commercial, ne laissons plus les injonctions dépassées influencer notre rapport à l'argent et à la réussite. Pour que l’artisanat créatif soit reconsidéré et valorisé il est nécessaire en premier lieu de faire un travail sur soi pour s’éloigner de ses propres présupposés, dépasser ses croyances ancrées qui fixent nos états d’esprits dans des mécanismes négatifs incompatibles avec le développement d’une entreprise.
C’est cette niaque, celle qui nous fait aller encore plus loin qu’on s’en croit capable, qui a le pouvoir de changer les regards sur nos métiers. Nous sommes des entrepreneur-es, pas des “petits créateurs”.
« C’est peut-être chez les artisans qu’il faut aller chercher les preuves les plus admirables de la sagacité de l’esprit, de sa patience et de ses ressources. »
Créatrices, créateurs, artisanes, artisans nous tenons dans nos mains un pouvoir. En créant, nous luttons contre la production de masse et l’uniformisation. Nous transformons les modes de consommation standardisés, nous renforçons la diversité culturelle, la durabilité environnementale, et l’enrichissement humain. L’artisanat créatif c’est beaucoup plus qu’un héritage de savoir-faire, c’est l’avenir. C'est la solution pour survivre au monde du travail, au monde tout court, divisé entre le progrès incessant du toujours plus vite, du robotisé où l'intelligence artificielle dévore nos compétences. Parce qu’il valorise le temps, l’effort et l'authenticité il ouvre la voie vers une société plus équilibrée et plus juste. Et c’est nous, collectivement, qui ouvrons cette voie.
Je suis convaincue que la clé du changement réside dans cette force du collectif, ce moteur puissant pour faire avancer les idées et ouvrir les consciences. Je porte les initiatives, je réunis des talents, des compétences, mais surtout des voix. Et c’est bien la mutualisation de la visibilité, des ressources et de l’influence qui amplifie l’impact et rend la transformation possible.
Parce qu’on n’est pas (que) là pour enfiler des perles, réunissons-nous pour changer les regards sur l’artisanat et pour valoriser nos métiers créatifs d’un même élan d’ambition et de détermination. Rejoindre Les Mains c’est s’offrir l’opportunité de participer au changement, c’est grandir soi-même et dépasser ses limites, c’est monter en compétences pour porter son projet entrepreneurial et l’emmener bien plus loin que l’on s’en croyait capable.
Merci d’avoir lu cet article ! N’hésite pas à partager :) Myrtille
©Les Mains - tous droits réservés. Ce texte a été rédigé par Myrtille Crabières et est la propriété de la société Les Mains, toute copie, partielle ou entière, est interdite.
*source lexpert-comptable.com